Les relations de droit privé entre Libanais et Israéliens : quelques aspects

Par Bchara Karam, Master II Recherche en Droit Civil.

 

            Il est courant d’entendre parler des problèmes juridiques concernant les relations entre l’Etat du Liban et l’entité d’Israël[1] , comme par exemple, tout  récemment, les  problèmes de délimitation de frontière maritime sur fond d’exploitation des ressources de gaz.

Qu’en est-il des relations entre Libanais et Israéliens ? De ces relations qui n’opposent qu’individus, recherchant leurs propres intérêts ? Dans cet article, nous allons donc nous intéresser à quelques aspects des relations privées entre Libanais et Israéliens.

Le sujet est sensible, car l’ambiance générale laissée par le discours politique est que toute relation est interdite, de quelle nature fut-elle. Mais des fois, on exagère : une poignée de main entre Miss de beauté[2], un concert d’un groupe de rock qui est passé par Israël lors de sa tournée[3], une publicité israélienne dans un site internet libanais, tout cela est aux yeux des politiciens autant d’actes de trahison et traîtrise.

Or, qu’en dit le droit ? Devant la clameur constante de sanctions, il est convenable de rappeler le grand principe de droit pénal qui veut qu’il n’y ait ni crime ni sanction sans texte. Et, comme il serait difficile que le législateur ait tout prévu, et tout sanctionné, il en découle alors, au moins théoriquement, qu’il existerait une marge de permissivité dans les relations entre les deux pays.

Ce que nous allons exposer ici, est une compilation de cas, fouinés dans la jurisprudence, mais aussi notamment dans les consultations du Comité de Législation et de Consultations du ministère de la Justice libanais, ou autres sources.

(Pour avoir une petite idée des lois en vigueur qui conditionnent les relations entre le Liban et Israël, vous pouvez cliquez ici, si vous le voulez.)

1 – Relations commerciales en général : la loi sur le boycott d’Israël

L’article premier de la loi de boycott d’Israel dispose :

« Il est prohibé à toute personne physique ou morale de contracter soi-même ou par intermédiaire une convention avec des organismes ou des personnes résidentes en Israël, ou dans l’intérêt d’Israël, et ceci chaque fois que l’objet de la convention est une transaction commerciale ou une opération financière ou toutes autres affaires de toute nature qu’elles soient»

Les tribunaux libanais ont exégétiquement appliqué les lois, indifférents aux exagérations sentimentales ambiantes.

Par exemple, à celui qui faisait de la contrebande de tabac avec les Israéliens à partir du  territoire libanais occupé – et non pas à partir d’Israël elle-meme, la cour de cassation a refusé d’appliquer la loi sur le boycott d’Israël, car une condition de l’application de cette loi fait défaut. (Cass.Lib.Crim. 6ème ch., numéro 152, 19/10/2000, Revue Cassandre, 2000, 10, p.j. 1040).

 

2 – Pourparlers entre sociétés :

Comme il parait de l’article cité plus haut, il existe des sociétés boycottées, soit qu’elles sont résidentes en Israël, soit qu’elles y ont des succursales, filiales ou agences. Ces sociétés sont déterminées par une liste émise par le gouvernement.

Or, une société libanaise était entré en pourparlers avec une société étrangère présumée tomber dans la sphère des sociétés boycottées. L’affaire se retrouve devant la cour de cassation pénale, qui considère qu’il n’y a pas d’infraction à la loi de boycott. Ce qui nous intéresse ici n’est pas l’argument principal que la cour utilise – à savoir que rien ne prouve que la société étrangère soit boycottée, mais l’argument subsidiaire :

« A supposer qu’il y ait eu des réunions au siège de la société étrangère à Londres pour discuter d’affaires techniques relatives à la comptabilité, en présence de représentants du Liban et d’Israël, celà ne rentre pas dans le concept de l’article premier de la loi de boycott d’Israël étant considéré qu’il n’a pas résulté en une signature de conventions commerciales ou financières ou autres avec les israéliens »

Les simples pourparlers, donc, sont chose permise.

 

3 – Intention de trahison et caractère secret des informations

 

Dans l’application des articles du code pénal relatif au contact avec l’ennemi, la cour de cassation a mis l’accent sur l’existence de l’intention de trahison, et n’a pas appliqué ces articles là ou cette intention faisait défaut.

Dans une espèce, citée plus haut (Cass.Lib.Crim. 6ème ch., numéro 152, 19/10/2000), et pour éluder l’application de l’article 278 Code Pénal libanais, l’arrêt a considéré que tant que l’intention de trahison faisait défaut, le fait de vendre du pain aux agents de l’ennemi, n’est pas incriminé. (L’article en question interdit l’aide apportée aux soldats, espions ou agents ennemis).

Un autre arrêt a aussi refusé d’appliquer ce même article tant que n’a pas été prouvée l’intention (qualifiée) de trahison en vue de nuire à la sécurité de l’Etat. (Cass.Lib.Crim. 6ème ch., 4/11/1997, Revue Cassandre, 1997, 11, p.j. 462). En l’espèce, les différents faits qui ont fait planer le doute sur les « accusés» sont : le fait de monter dans une voiture d’agents israéliens, le fait d’être vu avec ces agents, et le fait d’avoir parlé avec des soldats de l’armée du Liban Sud.  Décidément, bavarder avec des israéliens n’est pas incriminant.

Encore, quand bien même il y a bavardage avec des agents israéliens, le bavardage doit porter sur des informations. Quelles informations ? la cour de Cassation rappelle qu’il doit s’agir d’informations secrètes, au sens de l’article 281 C.Pénal. Or, un berger qui avait rapporté aux israéliens des informations comme la constatation de l’existence d’obus dans un terrain quelconque, ou le fait que des palestiniens ont détruit une maison, donner la description de tel individu, des précisions géographiques sur base d’une carte aérienne, etc n’a pas été considéré comme ayant rapporté des informations secrètes, car ses informations étaient apparentes et non conservées secrètement. (Cass.Lib.Crim. 6ème ch., numéro 215, 8/12/1998, Revue Cassandre, 1998, 12, p.j. 1197)

4  – Détention de monnaie israélienne

 

On retrouve dans les archives du Comité de Législation et de Consultations[4] le cas suivant : un agent de change libanais détenant 974 « livres » israéliennes. La question était de savoir si un tel acte est contraire à la loi de boycott d’Israël.

Le Comité a rendu deux consultations, l’une le 25/1/1950 sur demande du parquet, et l’autre 3 jours après, sur demande du DG de la Sécurité Générale, ou on peut lire : « La détention de la monnaie d’un Etat ennemi n’est pas en lui-même une infraction punie par la loi, à moins que cette monnaie ne résulte du commerce avec un ressortissant de l’Etat ennemi ou une personne y habitant ». Il faut ajouter que le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire avait pris une position analogue.

Le droit, comme toujours, est plus raisonnable que la politique.

5 – Mariage entre un libanais et une israélienne :

 

Voilà un cas beaucoup plus palpitant, aussi tiré des consultations du Comité de Législation et de Consultations[5]. En pleine guerre libanaise, en 1984, est ainsi posée la question de savoir « s’il est possible selon les lois libanaises d’enregistrer le mariage d’un citoyen libanais avec une citoyenne israélienne dans l’administration du statut personnel». L’épouse, dans l’affaire, est d’origine arabe, née sous l’occupation, a immigré d’Israël[6] pour se marier au Liban, et a par la suite abandonné sa nationalité israélienne, tel qu’il ressort des faits mentionnés dans la consultation. Ce qui a permis au comité de trouver une réponse pragmatique : la conjointe n’a plus la nationalité israélienne, donc rien n’empêche l’enregistrement du mariage.

Mais la question de la  validité du contrat de mariage en lui-même est tout à fait indépendante du problème presque administratif de l’enregistrement de ce mariage. Les codes de statut personnel des différentes communautés religieuses libanaises ne mettent pas de conditions de nationalité pour la validité du mariage.

Heureusement, le Comité a adressé obiter dictum cette question, et cela avant de proposer la solution exposée ci haut.

Le Comité a rappelé le premier article de la loi du boycott (dont le texte figure plus haut). Et a mis l’accent sur : « toutes autres affaires de toute nature qu’elles soient». Il s’agit ainsi de savoir si le mariage rentre dans cette catégorie. Or, cette catégorisation, de caractère politique, est du ressort du gouvernement, d’après le décret d’application de la loi du boycott. Le Comité, qui courageusement aborde la question, ne fait néanmoins, qu’en déplacer le fardeau, – tel que le décret le dispose, en toute façon.

Donc, confrères libanais et libanaises, si jamais vous commettez la folie d’épouser des israéliens, sachez que l’enregistrement de votre mariage serait une affaire d’Etat.

6 – Droit maritime – secours maritime

            Voilà deux cas déposés auprès du Comité de législation et consultations[7] :

1 – Des navires libanais, se trouvant en danger de naufrage, sont obligés d’accoster dans des ports israélien. (Consultation numéro 908/r/1969)

– Ces accostages rendus obligatoires par la « force majeure exonératoire de responsabilité » n’enfreignent pas la loi de boycott d’Israël.

– Une recommandation de l’ « organisation du droit internationale » incite à ne pas capturer les navires ennemis faisant naufrage.

– Rien n’empêche que les frais dus au port israélien par le navire libanais soient payés par ce navire directement au port, ou au biais du comité de l’armistice crée suite à l’accord d’armistice de 1949[8].

Il faut toutefois noter que le Comité approuve en principe la recommandation du président de la délégation libanaise auprès du comité d’armistice , de faire notifier à tous les propriétaires de navires libanais d’éviter les eaux territoriales israéliennes.

2 – En 1969, un navire libanais capte un appel de détresse provenant d’un navire. Le ministère de la Défense Nationale consulte le Comité. Celui-ci, légaliste, rappelle que le Liban est signataire d’une Convention internationale de Bruxelles du 23/9/1910, et de deux autres de Londres, et que ces conventions reprennent des coutumes internationales selon lesquelles le capitaine d’un navire doit apporter son secours à toute personne, même ennemie, tant qu’elle est en danger.

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Comme on l’a dit, il ne s’agit que d’une compilation rapide de cas ; et l’on pourrait songer à d’autres hypothèses, comme la correspondance internet par exemple. Comme aussi il serait bénéfique de savoir ce que dit le droit israélien de ces affaires-ci.


[1] “Entité”, faute de reconnaissance par le Liban d’Israël en tant qu’Etat. Et c’est le terme que j’utilises en tant que Libanais soumis au corpus juridique national.

[4] Source: Consultations 84/r/1950 et 109/r/1950, recueil des décisions du comité de législation et des consultations, Sader, p.9405 – 9406.

[5] Source: Consultation 523/1984, recueil précité, p.9430.

[6] On ne peut que se demander comment cela fut-il possible.

[7] Sources Consultations 48/r/1961 et  908/r/1969 et , recueil précité, p.9421 et 10139.

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